ADIEU L'ARTISTE ....

Olivier Claudon

Adieu l'artiste

"Aujourd'hui, au milieu de son champ de pommes de terre, Marcel est vouté plus que d'habitude sur son croc, courbé par la tristesse. Une larme de Camille, le faucheur à la faux se mêle à la rosée des prés. À l'étable, l'œil des vaches vosgiennes de Léon est plus humide. À l'abri d'un vieux fourneau sur lequel semble gémir une vieille bouilloire, le chat se blottit un peu plus contre la blouse de Jeannette. Sous la cathédrale d'épicéas droits comme des cierges, aujourd'hui Coquette et Paulette, les deux Ardennais, ne sont pas d'humeur à travailler, François non plus. Cet après-midi, Émile le fermier n'a pas attelé ses bœufs, tant pis, le foin séché attendra. À la cave à fromages des Gouttes, les munsters de Fernande seront un plus salés. La schlitte restera à la grange. Cet engin qui vous crève un homme en montant et qui vous le tue en descendant. Henry et Paul ne veulent pas encore ajouter du malheur au malheur."

Je crois bien que cette année la brume s'échappera des forêts de sapins un peu plus chargée de mélancolie. Ils le savent tous, il ne passera pas. Le café restera sur le coin du fourneau, le jus de pomme ne sera pas débouché, la goutte restera dans le placard, la tarte de cerises ou de fromage blanc ne seront pas partagées. Ils savent que Joël ne reviendra plus. Mais il restera ses livres, les livres de Joël Couchouron, trace indélébile, témoignage de leur vie, de leur labeur, de leur savoir, de notre patrimoine local.

Avec ton départ prématuré, cher Joël, nous perdons un ambassadeur d'une certaine histoire des Vosges, d'un passé presque révolu. Mais grâce à ton travail d'ethnologue, tu nous laisses un héritage remarquable, un merveilleux trésor de mémoire. Assis sur mon tabouret, devant mon chevalet, je n'ai pas le cœur à mettre de la couleur sur la toile aujourd'hui. Mon regard se tourne vers ma bibliothèque, s'arrête sur ta collection de livres, bien calée entre les loups arctiques de ton ami Vincent, et un livre d'Art consacré J. F. Millet, ce peintre du XIXème siècle qui "magnifiait" la paysannerie et la vraie vie des gens de la terre, sans fard, avec une saisissante énergie, décrivant un ensemble de gestes, de scènes de travail, d'efforts physiques au fil des saisons, restitués à vif, sans aucune intention de faire de l'artistique ou du sentimental. Tout comme toi, Joël ! Savais-tu que sur ton papier argentique, tu travaillais à la manière de Jean-François Millet. Mais te l'ai-je jamais dit ? Mon regard s'attarde sur la tranche de tes nombreux ouvrages, "Vie paysanne", " Paysans par tous les temps", "Scènes paysannes",.. Paysan, c'est un beau mot "PAYSAN" ! 50 ans à sublimer ce monde par la photo ! Et toi qui s'excusait d'utiliser cette passion de la photographie juste pour assouvir cette soif de rencontres humaines. Avec patience et humanisme, sans forcer les choses, tu capturais le savoir-faire et le savoir-vivre des gens des Hauts, des gens de la Terre pour que la mémoire de ta montagne ne s'éteigne pas. Joël, tu étais un "passeur", un artiste passeur d'images. En vulgarisant ton travail, pour nous réapprendre à regarder les Vosges en pente douce, au rythme des saisons, à portée de mains, celles de ces hommes et ces femmes, paysans par tous les temps, qui ont façonné ces paysages que tu affectionnais tant. Tu étais cet humaniste militant qui avait réussi à tisser ce lien entre le monde moderne et ce monde d'avant, gardien des secrets d'une paysannerie d'antan.

Que me restera-t'il en mémoire de toi, mon ami ? Le souvenir de ce jour, il y a plus de 40 ans, moi jeune étudiant admiratif et impressionné de rencontrer Joël Couchouron ? Le souvenir d'une fidèle, longue et simple amitié ? De ce sourire généreux et accueillant, de ce regard bleu profond, bienveillant et respectueux ?

Aujourd'hui, mes pensées vont vers Blandine, Jean-Yves et Mickaël, vers ta famille, tes amis photographes et artistes, tous tes amis, si nombreux, que tu aimais à rassembler pour créer des rencontres et partager, en toute simplicité.

Salut l'Artiste, adieu l'Ami.

Ainsi va la vie !

Jean-Denis Durin

Un très bel hommage rendu à Joël Couchouron, parti rejoindre les personnages immortalisés par ses clichés qui entretenaient la mémoire des Vosges et de ces "Gents des Hauts"