GIBERT JEUNE !
ARCHIVES FAMILIALES
RÉCITL’enseigne, emblème de la rive gauche depuis 135 ans, ferme ses quatre boutiques de la place Saint-Michel fin mars. C’est une longue page d’histoire qui se tournera tristement.
Quand la grande librairie Gibert Jeune baissera définitivement ses stores à la fin du mois de mars, que les étals et rayonnages auront été débarrassés de la multitude de livres neufs ou d’occasion qui fit sa réputation et sa gloire, que les vieux escalators récemment rénovés s’immobiliseront, plongeant l’immeuble principal dans un étrange silence uniquement rompu par le glissement furtif des souris, et qu’enfin libraires, vendeurs, vigiles, caissières et manutentionnaires franchiront une dernière fois les portes des quatre sites donnant sur la place Saint-Michel, où beaucoup ont fait la quasi-totalité de leur carrière, alors c’est une longue page d’histoire qui se tournera tristement.
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L’histoire d’un quartier de Paris autrefois si joyeux et longtemps associé à l’étude, aux idées, à la jeunesse et à la connaissance ; l’histoire de la librairie française, confrontée à de nouvelles habitudes de lecture et d’achat et à un marché de l’immobilier asphyxiant ; l’histoire aussi d’une dynastie – les Gibert – qui, en cent trente-cinq ans, a porté au plus haut l’étendard de la librairie indépendante et entretenu avec des générations d’étudiants, bibliophiles et lecteurs, un lien d’extrême familiarité au point que beaucoup le croyaient éternel.
Oui, c’est une sorte de phare des lettres parisiennes fréquenté jadis par Gide, Cioran, Malraux, Duras, Modiano, Nothomb, Orsenna ou… Gainsbourg qui s’éteindra à jamais, plongeant la place dans une inquiétante pénombre. Aucun livre, hélas, n’a jamais conté les épisodes de cette saga familiale dont les héritiers continuent, par culture et tradition, de privilégier une discrétion ancestrale. Tâchons donc d’en retracer le fil.