14 août 2022
DIDICHE !
Publication de Pierre
Pierre Pelot a partagé un souvenir.
POING A LA LIGNE -
Fin janvier 2013
Un homme est tombé
Quarante-quatre ans après le premier cri jailli d’un petit visage fripé et bleu de Shtroumpf, il est tombé, sans pouvoir même en pousser un dernier, sans doute, sans même un murmure, dans une rue grise de verglas aux abords d’un jardin public, m’a-t-on dit, le crâne embrasé, le cerveau effacé sous l’impact d’un projectile infâme tiré au hasard par une sorte de snipper interne qu’on appelle « rupture d’anévrisme ». Rupture d’anévrisme « cataclysmique », d’après les termes du médecin qui a reçu son corps mort au bloc de l’hôpital.
…
Il s’appelait Dylan. Pierre-Dylan très exactement, mais il n’aimait pas trop ce prénom téléscopique, préférait tout simplement Dylan. En raison même probablement de l’étrangeté qui pouvait résulter, pour un petit tout petit garçon, de cette appellation composée, Dylan s’est très vite transformé en « Didiche ». Il préférait davantage, encore.
Il a poussé grandement en taille, en cheveux et en barbe pour devenir cet homme aujourd’hui abattu. Comme d’autres qui tombent, qui sont tombés, qui sont appelés très normalement et très horriblement à tomber dans le piège inéluctable de la mort. Pas tout à fait comme d’autres, pourtant, non. Car celui-là était mon fils.
Un homme droit debout dans ses bottes, que je me suis mises aux pieds, moi qui en toute logique ( mais quelle logique ? ) aurait dû m’éloigner bien avant lui. Un homme droit tout simplement, dont le regard de grand calme et de grande tendresse ordinaires pouvait pourtant fulgurer en colères et révoltes contre les mille agressions des alentours ordinaires. Il avait la droiture, la générosité, ce regard d’une finesse acérée et terriblement juste sur les autres. Il avait le talent. Il avait la musique des autres avant de jouer la sienne. Il avait le dessin, c’était ( non pas devenu, mais viscéralement ) un artiste et je suis chaleureusement admiratif de ce qu’il faisait du bout de son pinceau ou de son crayon graphique. Un homme que j’étais fier de savoir exister. Fier.
Très fier de ce qu’il m’a appris du bonheur.
Un homme de qui des centaines connaissaient et avaient appris et rencontré la chaleur et l’humour dingo. Réalisateur et scénariste capable de produire un film intitulé « La nuit de l’invasion des nains de jardin venus de l’espace »…
Il donnait, en plus de cela, des cours de monstres, disait-il, dans une MJC nancéienne. Il avait réalisé une encyclopédie des films hautement improbables et introuvables… plus de 150 ! C’est dire.
Il est tombé, et le snipper interne clandestin ne savait certainement pas l’étendue des dégâts causés par sa chute. Ne savait pas qu’avec lui une bonne partie du monde s’écroulait pour ne jamais se reconstruire une fois la cataclysme passé.
Restent de lui des souvenirs à hurler – de rire, bien entendu – des souvenirs de bonheur, de chaleur… de bien-être, de bien vivre, de complicité en silences, de soleil partagés. C’est bien beau les souvenirs, comme si ça suffisait…
« Ne pleure pas celui que tu as perdu réjouis-toi de l’avoir connu », a dit quelqu’un.
Sans aucun doute. Ce qui ne reconstruira pas, malgré tout, le monde.
Ma fierté d’avoir connu cet homme est immense. Pour couronner le tout, mon fils !
Didiche.
Didiche, rien que pour sa maman et moi, d’abord. Pour tellement d’autres ensuite. Tellement d’abandonnés à trois pas derrière lui sur le bord de la route.
Didiche, mon gamin, hé-ho ! Putain ! Je l’ai appelé. Fais-nous une farce, une énorme, une gigantesque, une que personne avant toi n’a eu l’idée de réaliser, celle-là, ni n’en a eu la capacité. Reviens ! Allez, quoi, de tous les bordels de dieux, s’il te plaît, reviens… J’attends.
C’est un roman que Dylan a écrit. Un jour il est arrivé, annonçant: J’écris un roman. Je me suis dit : Allons bon ! Mais c’était vrai. Pas une blague.
C’est un roman que bien des gens disent être chouette. Disent que c’est bien. Un roman que je ne peux pas lire.
Un été il était là avec son ordi et il m’avait demandé un coup de main — un coup d’œil — pour la relecture, quelques corrections. C’est ce que nous avons fait, sur l’écran et le fichier Word. Nous avons passé au râteau et au tamis la gros quart du bouquin. Ça me faisait un peu drôle, c’était largement inspiré de son adolescence et de ses frasques avec ses copains. En quelque sorte j’avais déjà vécu cela en témoin et sur le vif. En quelque sorte. Puis il est reparti dans la ville, chez lui. La correction en plan.
Puis il est tombé.
Plus tard, dans le brouillard, le manuscrit est devenu un livre de papier et de couleurs, édité par Bragelonne. Présenté par Gérard Viri-Babel. Illustré par Julien Solé qui, ( c’est drôle ? ) avait partagé avec lui des jeux de jeunes garçons qu’ils étaient, des visites de cimetières la nuit, des aventures en pays imaginaires…
Voilà ce roman. Qu’on me dit fort agréable, et à son image.
Que je ne peux pas lire.
Commentaires
Plus pertinents
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Katia CornevauxOn ne l’oublie pas
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Damien KuntzTrès beau texte plein d'émotions.
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Clarisse EnaudeauMerci pour ces mots, cher Pierre
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Evelyne VleminckJe pense bien souvent à lui ...
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Quelle tristesse, quel manque ! Je le revois souvent, assis à ta table, non loin de moi, d'apparence si solide et l'œil intelligent.
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Murielle Didier ThomasBel hommage !
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Bernard VisseNous ne l'oublions pas, il vit dans nos cœurs....
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Franc VoloNo’t Didich !!ou peut on le trouver Pierre? Je ne savait pas?
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Philippe JacqueminCher Pierre, moi aussi, je souhaiterais qu'il fasse ce que personne n'a fait jusqu'à maintenant, à savoir, revenir, pour que l'on puisse faire ce repas ensemble qui était prévu, pour partager un des si bon moments que l'on pouvait passer ensemble avec ma famille, rire ensemble, l'écouter, me parler de son univers d'homme et d'artiste, dont le talent me percutait l'esprit d'humour et de joie. C'est une grande fierté pour moi, d'avoir partagé cette amitié avec DidichePleins de pensées à toi et Irma et merci d'avoir conçu cet enfant, qui adulte, a été très important dans ma vie.
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Anver AnnieDe beaux souvenirs avec Dylan
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Gérard KrawczykSapoulade ! Que de (bons) souvenirs avec Didiche ! Didiche forever
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Marie Drouinje nous revois grimper ces rochers derrière chez vous, avec sa bande de potes, Jérôme et Thierry, un après-midi d'enfer de joie, son regard sa modestie et je suis fière d'avoir été une des 1ères à programmer cette invasion des nains de jardins. Il est avec nous chaque fois qu'on y pense. mille baisers à toi et Irma
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Marie-josé GonandC'est une triste mais belle histoire.
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Je pense souvent à lui, il est inoubliable. Courage à vous.
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Yan LindingreJ’ai montré « les nains » cette semaine aux gamins. Je leur ai montré comme un truc à voir absolument.Bon sang. Bon sang
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Pierre PelotYan Lindingre Ç'avait été un chouette délire. Que je garde et garderai avec moi jusqu'au bout, ma foi...
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Philippe JarbinetQue dire de tout cela, sur la mort d’un enfant ? J’ai connu, et il était plus jeune, sans avoir pu montrer son talent, ni ce qu’il serait devenu. Il paraît qu’on s’y fait. Ce n’est pas faux, mais dans le silence du temps qui passe, il est toujours là, sans y être.
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En ligneVincent DecombisAh Didiche !Vincent DecombisJe me souviens de Dylan élève de 3 è qui avec ses copains m'avait demandé la caméra du collège pour tourner des essais de films ( fantastique;;;gore ) D'accord avait dit feu Bernard Riblet feu principal, à condition que vous soyez là à côté de la caméra ! Quelques heures donc de tournage en bas de " chez Pelot" ...La même bande rock de Dylan avait aussi assuré la Première Fête des Fous de RGM à Rupt lors d'un réveillon de la radio
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