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Union des Ecrivains Vosgiens
23 février 2022

l'UKRAINE BERCEAU DES SLAVES

Archéologie
La naissance du monde slave

Les Slaves ont d'abord été une obscure population vivant en forêt. Puis leur domaine d'influence a commencé à s'étendre à la fin de l'Empire romain. Ils ont progressivement occupé la moitié orientale de l'Europe, où ils ont transmis leur culture.

MICHEL KAZANSKI|  01 août 2009|  POUR LA SCIENCE N° 382|  18MN
slave

Les protoslaves vivent à l’origine dans de lointaines forêts de l’Est de l’Europe. Au VIe siècle, le déplacement des Germaniques de l’Est au cours des guerres contre les Huns déclenche leur expansion, qui ne s’arrêtera qu’à la Méditerranée balkanique et sur les marges de l’Empire carolingien.

© Benoît Clarys

Le mot slave convoque de vieux clichés dans l’esprit des Européens de l’Ouest. D’abord, beaucoup croient faussement qu’il provient du latin sclavus, qui signifie esclave alors qu’il veut dire slave en latin médiéval ; ensuite, il évoque des hordes sauvages venues de Sibérie et envahissant l’Europe. Plus généralement, les Slaves seraient primitifs…

Dans ce qui suit, nous allons voir que l’archéologie, la linguistique, mais aussi le simple examen de l’histoire balayent ces préjugés : les Slaves sont comparables aux Celtes et aux Germains de l’Antiquité, dont ils ont suivi l’évolution avec quelques siècles de décalage. Comme eux, ils ont fini par absorber l’héritage romain, pour créer leur propre version de la civilisation européenne, avec son christianisme et sa tradition urbaine et étatique.

Des Européens comme les autres

Les préjugés des Européens occidentaux contre les Européens orientaux, donc contre les Slaves pour l’essentiel, culminent au XIXe siècle dans le racisme de philosophes et savants allemands dont… Karl Marx. À les en croire, les Slaves « ne peuvent se gouverner eux-mêmes », sont « incapables de se protéger militairement », ne sont pas « doués pour les sciences et les techniques modernes », etc. Les nazis endosseront cette idéologie au xxe siècle, et s’en serviront pendant la Seconde Guerre mondiale pour commettre d’innombrables crimes de guerre à l’Est de l’Europe.

Or les anciens Slaves sont aussi Indo-européens que les anciens Germains et la majorité des autres anciens Européens ; comme eux, ils ont toujours vécu sur le vieux continent, mais pas en Asie. Seule différence notable, à l’instar des Finnois, des Baltes, mais aussi des Germains, les Slaves n’ont jamais fait partie de l’Empire romain, et n’en ont perçu l’héritage qu’indirectement.

Aujourd’hui, les Slaves occupent toute l’Europe orientale, du Nord au Sud, et il en existe trois branches : les Slaves occidentaux (Polonais, Tchèques, Slovaques, Serbes de Loujitse etc.), les Slaves orientaux (Russes, Biélorusses et Ukrainiens, que l’on nommait autrefois Malorusses) et les Slaves méridionaux (Bulgares, Serbes de Serbie, du Monténégro et musulmans de Bosnie, Croates, Slovènes, Macédoniens). Tous ces peuples sont l’émanation moderne d’un groupe ethnique antique. Lequel ?

Au VIe siècle de notre ère, Jordanès (vie siècle), un auteur d’origine ostrogothique, mais s’exprimant en latin, explique que les Slaves se sont appelés Vénètes. Même s’il a existé aussi des Vénètes italiques (à l’origine du nom de Venise) et des Vénètes celtes (d’où vient le nom de Vannes), cette remarque invite à attribuer aux Protoslaves un témoignage que Tacite (55-120) a rédigé sur les Vénètes durant la seconde moitié du iie siècle. L’historien romain dit des Vénètes, qu’ils habitent quelque part sur les marges orientales de la Germanie, à l’Est de la Vistule (aujourd’hui en Pologne), où commence le monde steppique des nomades iranophones, les Sarmates. Tacite ne sait comment les classer, car, d’une part, ils sont mobiles et caractérisés par un regrettable penchant pour le pillage – ce qui fait penser aux Sarmates –, et, d’autre part, habitués à se battre à pied avec lances et boucliers, et à vivre dans des bâtiments en dur – ce qui les rapproche des Germains. Le nom que les Allemands donnaient au Moyen Âge à leurs voisins de l’Est – die Wenden – corrobore par ailleurs la relation probable entre Vénètes et Protoslaves.

Les protoslaves

Il ressort de ces indices historiques que les anciens Vénètes-Slaves vivaient sur les marges orientales du Barbaricum européen : la partie de l’Europe occupée par les Barbares (c’est-à-dire les peuples non romanisés). La linguistique le confirme : assurément indo-européennes, les langues slaves ont comme plus proches parentes les langues baltes, c’est-à-dire le lituanien, le letton ou encore le vieux prussien (aujourd’hui disparu). Les linguistes pensent même que les langues baltes et slaves formaient une seule et même entité dans l’Antiquité, dont les langues slaves représenteraient une modification relativement tardive.

Un indice vient conforter cette interprétation : le fait que les langues slaves portent en elles des traces d’anciens contacts avec les Germains orientaux, en l’occurrence les Goths, mais aussi avec les peuples iraniens de la steppe, Scythes et Sarmates. Tout ceci indique que le berceau des Slaves se situe quelque part entre les anciens territoires baltes, germaniques et iraniens ; on peut le situer en Ukraine septentrionale et en Biélorussie d’aujourd’hui, ainsi que dans les régions limitrophes de Russie actuelle.

Le berceau slave probable (en rouge) correspondait à une culture matérielle dite post-Zarubincy. Elle fut ainsi dénommée par les archéologues soviétiques. C’est probablement le berceau des Vénètes, terme qui qualifie les Protoslaves pour les auteurs antiques. À partir de cette région, les territoires occupés par les Slaves vont progressivement s’étendre. Au VIe siècle (en jaune), ils occupent les Balkans jusqu’en Grèce et d’anciens territoires celtes et germaniques jusqu’à l’Elbe.

Quelle image des Protoslaves livre l’archéologie ? Les recherches intenses des années 1970 en Union soviétique ont révélé qu’à l’époque romaine, une première culture slave – la culture de Kiev – se forme dans le bassin du Dniepr moyen et supérieur. Il s’agit apparemment d’une évolution de cultures locales plus anciennes dites de Zarubincy et Post-Zarubincy. Très homogène, la culture de Kiev est caractérisée par de petits habitats archaïques rappelant ceux des premiers Celtes ou Germains. Ces petits hameaux non fortifiés rassemblent quelques maisons rudimentaires creusées dans la terre et équipées d’un poêle en pierre ou en argile. Ils sont souvent flanqués de nécropoles contenant des sépultures à urnes. Le mobilier archéologique est assez pauvre : de la céramique caractéristique montée à la main, quelques armes et outils de fer et quelques bijoux en bronze ornés d’émaux rouges.

La société slave d’époque romaine apparaît donc archaïque. Son agriculture est peu élaborée, mais adaptée aux conditions naturelles de la zone forestière ; elle est la base de l’économie des Vénètes, bien plus que son artisanat qui porte la trace de l’influence occidentale. Ainsi, la présence de nombreux mots celtiques dans la terminologie métallurgique et joaillière ainsi que le style des bijoux à émaux attestent d’une influence celtique dans la formation des premiers artisans slaves.

Une société tribale

La société antique protoslave est tribale et assez égalitaire ; on y vit en en petites communautés, où l’individu est intégré, soutenu, mais aussi contrôlé. Des chefs existent dès cette époque. Plusieurs témoignages antiques en attestent : Jordanès par exemple évoque une guerre entre Goths et Slaves… et sans chefs pas de guerre ! Toutefois, le pouvoir des chefs protoslaves ne s’appuie pas sur une classe de guerriers professionnels, encore inexistante.

Habitants des forêts, les Protoslaves ne peuvent rivaliser militairement avec leurs voisins germains et sarmates, mieux organisés et mieux encadrés. Leur mode guerrier principal est donc une sorte de guérilla forestière, décrite par Tacite. Il est d’ailleurs significatif qu’une grande partie des mots slaves, faisant référence à l’art de la guerre et aux élites guerrières, tels « épée » ou « prince », soit issue du Germain oriental.

On sait en réalité peu de chose sur les activités religieuses des Vénètes-Slaves. Tout ce que nous savons du paganisme slave remonte à des textes datant du xe au xve siècle. Au vie siècle, l’historien romain Procope de Césarée nous a livré un témoignage plus ancien selon lequel les Slaves vénéraient, d’une part un dieu du tonnerre (comparable au Taranis celte) et, d’autre part, les fleuves et les nymphes. Tout cela évoque le Panthéon indo-européen, avec son opposition typique entre des dieux du ciel, du tonnerre ou des éclairs et des puissances chtoniennes (relatives à la terre), représentés dans l’évocation de Tacite par des divinités aquatiques.

Qui aurait pu prévoir qu’une population aussi éloignée du monde méditerranéen civilisé et aussi archaïque deviendrait dominante dans la moitié de l’Europe ? Le mécanisme expliquant cet avènement s’enclenche avec les grandes invasions, lancées par l’irruption des Huns en Europe vers 375. La carte ethnique, politique, culturelle de l’Europe en sera bouleversée. Les anciens occupants des terres fertiles du Nord de la mer Noire et du Danube – les Goths (germaniques) et les Alains (iraniens) – sont repoussés vers l’Ouest par les cavaliers hunniques. La vacuité nouvelle des territoires situés à l’Ouest de l’aire originelle slave déclenche alors sans doute la progression slave vers la frontière romaine. C’est au vie siècle, que les Slaves apparaissent sur le bas-Danube.

C’est à partir de ce moment que les chroniqueurs antiques les mentionnent. l’époque des grandes migrations slaves a commencé, et les nouveaux venus ne cesseront alors d’affronter l’Empire byzantin et les royaumes romano-germaniques. Sur le plan archéologique, c’est à partir de cette époque que l’on peut considérer que les Slaves représentent un groupe homogène, qui se distingue nettement par la culture matérielle (les objets produits) et la langue. Les Byzantins du vie siècle connaissent deux groupes de Slaves : les Sclavènes, c’est-à-dire les Slaves proprement dits, qui occupent un immense territoire entre le Danube et la mer Baltique, et les Antes, leurs voisins de l’Est, qui habitent la steppe forestière de l’Ukraine et de la Moldavie. Tous les auteurs anciens soulignent leur parenté et la similitude de leur langue et de leurs modes de vie. Du reste, la division byzantine des Slaves en deux branches paraît avant tout de nature politique : tandis que les Antes deviennent des alliés de l’Empire d’Orient, les Sclavènes restent ses ennemis.

Les sources écrites et les données archéologiques s’accordent pour montrer que tout un peuple armé se déplace vers le Sud, et envahit progressivement le bas-Danube et les Balkans. Le phénomène n’est pas sans rappeler le mouvement de populations germaniques (Angles et Saxons) vers la Grande-Bretagne au début du ve siècle. Cette transplantation de toute une population germanique armée vers l’Angleterre se distingue des invasions germaniques de l’Occident romain (Francs, Goths, Vandales, Burgondes), que menaient des groupes restreints et très militarisés. Voisins des Romains depuis longtemps, ces Germains venaient s’intégrer à l’Empire romain, si possible au niveau le plus haut. Conserver l’héritage d’une civilisation qui leur apparaissait comme un modèle leur était donc naturel : d’où la fondation par Charlemagne du Saint empire romain germanique. Ce n’étaient le cas, ni des Germains nordiques qu’étaient les Angles et les Saxons, ni des Slaves, qui, n’ayant aucune expérience de l’échange avec l’Empire romain, ne voyaient pas l’intérêt de conserver les traditions romaines dans les territoires conquis. C’est ainsi qu’en Angleterre, l’arrivée des Anglo-Saxons entraînera une déchristianisation et un départ des populations romanisées et chrétiennes (dont sont issus les Bretons) ; de même, dans les Balkans, les modes de vie romains et les populations romaines et romanisées disparurent.

Ces deux grandes migrations, celle des Germaniques (achevée avec les Vikings) et celle des Slaves expliquent la carte ethnique de l’Europe d’aujourd’hui : le territoire des peuples romanophones correspond, grosso modo, à celui de l‘Empire romain à deux grandes exceptions près : les Balkans et la Grande-Bretagne. Il ne faut cependant pas exagérer le dépeuplement de la région balkanique (ni celui de l’Angleterre !) : les fouilles montrent que la population autochtone – romaine en Dalmatie ou grecque à l’extrémité Sud des Balkans – a survécu à l’invasion slave. Sans doute a-t-elle trouvé d’abord une forme de cohabitation avec les nouveaux venus majoritaires, avant de s’y fondre.

L’expansion slave

L’expansion slave du vie siècle est attestée dans différentes directions. Au Sud, les Sclavènes détruisent la ligne de défense byzantine sur le Danube dans les années 530-540, et déferlent vers la péninsule Balkanique. Ils parviennent jusqu’à son extrémité Sud : le Péloponnèse ! Dans les années 570-580, une grande partie des tribus sclavènes du Danube est subordonnée au puissant royaume des Avars, des nomades prototurcs venus des steppes de la Volga et sédentarisés dans le bassin des Carpates. Profitant des guerres avaro-byzantines, les Sclavènes s’installent d’une façon durable dans les Balkans, jusqu’en Grèce, où des tribus slaves occupent les montagnes jusqu’au xiiie siècle.

Les guerres danubiennes et balkaniques jouent un rôle capital dans la naissance du monde slave. Pour la première fois, des Slaves se retrouvent au contact d’une grande civilisation, dont ils ont beaucoup à apprendre, notamment sur le plan agricole. Les données archéologiques témoignent de la diffusion partout dans le monde slave d’outils agricoles en fer d’origine romaine. Leurs confrontations avec les Byzantins, les Avars et d’autres peuples consolident alors l’identité ethnique slave, favorisant l’émergence d’élites princières et guerrières, autour desquelles se forment les nouvelles entités politiques et ethniques. Selon Jean d’Éphèse (507-585), qui décrivait la situation après les années 580, les Slaves « se sont enrichis et ils possèdent de l’or et de l’argent, et des troupeaux de chevaux et beaucoup d’armes. Et ils ont appris la guerre mieux que les Romains, eux, les gens simples, qui n’osaient pas sortir des forêts et ne savaient pas ce qu’étaient les armes, à part deux ou trois javelots... ».

Les noms de chefs militaires slaves, tels Mezamire, Daurentias, Ardagaste, Mousokion, Khazon, deviennent fréquents dans les sources écrites à partir de la seconde moitié du vie siècle et au viie siècle. C’est le moment de la naissance des peuples slaves du Sud : Bulgares, Serbes, Croates, etc. Notons que dans le cas bulgare, les élites militaires sont d’origine étrangère, puisqu’il s’agit de la tribu turque des Bulgares, venue des steppes russo-ukrainiennes durant la seconde moitié du viie siècle.

À la même époque, les Sclavènes avancent vers l’Ouest, occupant, sur leur chemin, les territoires situés entre la Vistule (au centre de la Pologne) et l’Elbe (entre la Pologne et l’Allemagne), qui appartenaient jadis à des peuples germaniques et furent abandonnés lors des migrations germaniques vers le territoire de l’Empire d’Occident. Sur l’Elbe, les Slaves entrent en contact d’abord avec le royaume mérovingien, puis avec l’empire de Charlemagne et deviennent ainsi l’un des éléments du monde occidental. Enfin, en Europe orientale les Slaves progressent vers le Nord forestier, sur le territoire de la Russie d’aujourd’hui, où ils entrent en contact avec les populations finnoises et baltes, ainsi qu’avec d’autres groupes slaves, déjà présents sur place. Ainsi, vers le IXe siècle, les Slaves sont éparpillés sur un vaste territoire du lac Ladoga au Nord jusqu’au Péloponnèse au Sud et de l’Elbe à l’Ouest jusqu’à la Volga et le Don à l’Est.

Les trésors, signe de l’émergence des élites

Selon les données archéologiques, la civilisation slave des débuts de la Grande Migration est homogène et aucune raison n’existe pour penser qu’elle était différente de celle qui existait déjà à l’époque romaine. Cela permet d’identifier les Slaves aussi bien dans les Balkans qu’à l’Ouest. Partout, ils créent des habitats non fortifiés constitués de petites maisons chauffées par un poêle, ce qui est rare en Europe barbare non slave ; les cimetières contiennent des urnes funéraires ; le reste du mobilier archéologique est similaire d’un site slave à l’autre. Au sein de ce matériel, la céramique non tournée joue le rôle de marqueur ethnique, car, dans toutes les sociétés traditionnelles, ce type de poterie est fabriqué par les femmes selon les traditions ancestrales pour l’usage domestique. Réunis par les archéologues sous l’appellation « civilisation de Prague », d’anciens habitats slaves ont été mis au jour partout dans une zone allant du Dniepr (traversant l’Ukraine) à l’Elbe (qui se jette dans la mer du Nord non loin de Hambourg). Dans la steppe forestière ukrainienne et moldave, une autre civilisation très similaire, dite de Penkovka, représente l’expression archéologique du peuple slave des Antes. Enfin, dans la zone de forêts du haut-Dniepr se situe la civilisation slave dite de Kolotchin, apparentée à celles de Prague et de Penkovka. Le nom de ce groupe slave reste inconnu.

Or, à partir du viie siècle, la civilisation slave commence à évoluer rapidement. Le matériel archéologique trouvé sur les sites slaves se diversifie. Plusieurs trésors d’objets datant du viie siècle, en argent, tels que ceux de Martynovka et Zalesie en Ukraine ou celui de Zemiansky Vrbovok en Slovaquie, montrent que les élites dirigeantes slaves commencent à concentrer une véritable richesse. À partir du viie siècle, les habitats sont de plus en plus souvent protégés de remparts en terre flanqués de fossés. Certains peuvent être identifiés comme des centres du pouvoir, tel Mecklembourg-Véligrad, en Allemagne du Nord, qui, d’après les données dendrochronologiques (datation par les cernes du bois), existait déjà au VIIe siècle.

trésor de Martynovka

Le trésor de Martynovka, près de Kiev, témoigne qu’à partir du VIe siècle, des richesses se concentrent entre les mains des chefs slaves. On note la présence d’objets byzantins, notamment de boucles de ceinture et autres éléments de la mode militaire inter-nationale d’alors, ainsi que des éléments du costume féminin slave.

Parfois ces forteresses slaves livrent un nombre considérable d’armes. Citons, à titre d’exemple, Hotomel’ ou Zimno en Ukraine. Il s’agit sans doute de lieux de concentration de guerriers, ce que l’on nommait droujina en russe ancien. À partir du viie siècle, les armes découvertes sur les sites slaves deviennent plus nombreuses et plus variées ; elles comprennent des éléments de cuirasses, c’est-à-dire d’équipement militaire de professionnel de la guerre. Sur le territoire slave duIXe siècle, notamment en Moravie, en Autriche inférieure, en Slovaquie et en Dalmatie croate, apparaissent des tombes à épées. Ces tombes de chef militaire ont sûrement été érigées sous influence germanique, puisque les Vikings pratiquaient alors ce type de rites. Les premiers royaumes slaves sont en train de naître. Leur apparition, au VIIIe et surtout au IXe siècle dans la région balkano-danubienne, a produit un mobilier archéologique slave plus riche et plus varié. Communes à toute l’Europe, les pratiques d’inhumation se diffusent progressivement chez les Slaves aussi, surtout au Sud et à l’Ouest.

plaque décorative pour coffret en bois slave

Cette plaque décorative pour coffret en bois date du IXe-Xe siècle, et provient de Bojna en Slovaquie. Fouillée depuis quelques années, cette résidence princière fortifiée est considé-rée comme le centre du pouvoir des princes slaves qui dominaient alors la Slovaquie. Son motif chrétien byzantin évoque la conversion au christianisme des Slaves du Danube par les mission-naires Cyril (827-869, l’inventeur du cyrillique) et Méthode (815-885).

C’est alors, à partir du IXe siècle que des premières différences entre pays et peuples slaves apparaissent. Au cœur dans la zone d’influence byzantine, les Slaves du Sud évoluent rapidement vers la formation de royaumes médiévaux, dominés par la culture spirituelle et matérielle de Byzance. Les royaumes bulgare, serbe, croate copient les structures politiques de Constantinople et le christianisme y devient la religion d’État. Le rôle des Slaves du Sud dans la diffusion de la culture chrétienne au reste de Slaves est très important. L’écriture slave dite cyrillique est élaborée pour les besoins de l’église par les missionnaires Cyril et Méthode, et des missions partent vers d’autres pays slaves, en premier lieu en Moravie. Selon les médiévistes, le plus ancien texte russe aurait été écrit par un individu maîtrisant le bulgare. Il date d’environ 1 000 ans et a été trouvé à Novgorod. Le patrimoine historique des Slaves du Sud est malheureusement en danger à cause du démembrement de la Yougoslavie, puisque les affrontements nationalistes ont entraîné la destruction de nombreuses églises au Kosovo, dont certaines remontant au Moyen Âge, voire jusqu’au VIIIe siècle…

Ancêtres des Russes, des Ukrainiens et des Biélorusses, les Slaves de l’Est sont en contact, d’une part, avec les peuples turcs et iranophones de la steppe et, d’autre part, avec les populations finnoises et baltes du Nord forestier. La grande plaine russe est traversée par de grands fleuves – Volga, Don, Dniepr – qui sont autant d’axes d’échange entre le Nord européen, l’Orient et le Sud méditerranéen. Il est donc normal, que dès le VIIIe siècle, les marchands et les guerriers scandinaves y apparaissent. Leurs relations avec les Slaves et les Finnois aboutissent, au IXe-Xe siècle, à la naissance du premier État russe. Cette entité scandinavo-slavo-finnoise se forme d’abord au Nord, dans la région de Novgorod, où les découvertes dans les centres proto-urbains, comme Ladoga ou Riurikovo Gorodische, témoignent d’une présence scandinave importante ; puis le centre du pouvoir se déplace vers le Sud, à Kiev, dans une zone purement slave. Cependant une certaine « scandinavisation » est toujours perceptible dans les grands sites funéraires appartenant aux élites guerrières du xe ou du début du xie siècle, tel Kiev, Gnezdovo, Chestovitsy ou Tchernigov. Quoi qu’il en soit, en 988 la Russie devient pays chrétien, ce qui montre son orientation politique vers Constantinople et la culture russe se christianise rapidement sous influence byzantine.

La Grande Moravie du IXe siècle représente le premier État médiéval des Slaves occidentaux. Les fouilles ont révélé de grands centres urbains et des résidences princières fortifiées. Les nécropoles moraves ont livré des tombes de l’élite guerrière, où les défunts sont accompagnés des signes du pouvoir militaire, épées et éperons notamment. Les traces de christianisation sont manifestes, que ce soit par les églises de pierre ou les objets du culte chrétien. Les Slaves de l’Ouest, finalement, sous influence du monde romano-germanique, adoptent la culture chrétienne sous la forme occidentale. Deux grandes villes, Prague, la capitale du royaume tchèque, et Cracovie, la capitale polonaise, deviennent des centres importants de l’Occident catholique.

Des guerriers qui se sont progressivement implantés et intégrés

Il faut également évoquer les Slaves sur le territoire de l’Allemagne d’aujourd’hui, entre l’Elbe et la Vistule, qui s’opposent farouchement à la conquête allemande. Le nombre des Slaves faits prisonniers et vendus aussi bien en Occident qu’en Espagne musulmane est tel, que l’ancien mot latin servus, le serf, est remplacé, à partir du xe siècle, par sclavus qui donnera esclave. Cependant, la culture des Slaves baltiques reste païenne. Les restes d’un grand temple fortifié du xe-xiie siècle, centre d’un culte tribal, ont été découverts à Arkona, sur l’île de Rügen, en mer Baltique. Vers la fin du xiie siècle, ces Slaves entrent dans le royaume ottonien fondé par la noblesse saxonne ; leurs chefs sont intégrés dans la noblesse allemande et deviennent les ducs de Poméranie ou d’Oldenbourg, tandis que la population slave est progressivement germanisée et christianisée.

Ainsi, les Slaves ont suivi la même évolution que les Germains, et avant eux les Celtes. D’abord paysanne, la société slave se militarise progressivement. S’ensuivent de grandes migrations-conquêtes vers les territoires de l’Empire romain ou ce qu’il en reste. Ce mouvement aboutit à l’appropriation par les migrants des techniques, des savoir-faire et de la religion des Romains (Byzantins) ou de leurs acculturés (l’Occident romano-germanique). Il produit les premiers royaumes slaves, qui se forment sous l’influence de Byzance et de l’Occident romano-germanique, et explique les grandes structures de la carte culturelle européenne : des Latins au Sud-Ouest, des Germaniques au Nord-Ouest, et des Slaves à l’Est.

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