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Union des Ecrivains Vosgiens
12 septembre 2021

CLAIR ARTHUR !

 

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Merci Florent Kieffer pour ce beau texte perspicace et éclairé qui dit tout de l’œuvre arthurienne en prise avec le temps, dans cette fin de l’insouciance...puissant et sensible ! 😉
Peut être de l’art
Clair Arthur aurait pu se contenter de rester lui-même.
Demeurer cet aimable imagier qui ouvre des fenêtres dans la grisaille pour y jeter ses couleurs. Un limeur de barreaux. Un souffleur de rêve. Il aurait pu continuer à tendre ses cordes de clocher en clocher, et ses grands pans de tissus au travers des clairières, en lisière de nos vies. Entourer nos petits cœurs meurtris de ses bandes Velpeau, et user de ses fanions, de ses bannières, de ses calicots pour le genre de médecine qu’il pratique en maître : la compression légère des plaies. Musiciens, saltimbanques, acrobates, montreurs d’ours, clowns, forains, jongleurs, troubadours, poètes, badauds, ivrognes, tous naïfs et débonnaires, tous hilares et dégingandés, comme à chaque fois se seraient pressés sur ses toiles tels des fauves charmés par Orphée. Et nous, comme à chaque fois, aurions fait cercle autour de lui, dans la pénombre, pour voir leurs silhouettes de feu danser sur les parois de textile. Et nos larmes auraient séché. Et nos bouches se seraient mises à rire. Et nos impasses se seraient changées en théâtres. Et nos ruelles désertes en banquets. Et nos usines désaffectées en décors. Et nos forêts en contes. Et nos contes en chapiteaux, comme à chaque fois. C’est toujours pareil avec Clair Arthur. On la connaît, sa chanson. C’est bien la sienne. C’est bien la nôtre, aussi, depuis le temps. Elle vient de l’enfance et des refrains sans lendemain, des trottoirs autant que des buissons, des fêtes de villages, des cours d’école, des bistrots, des films et des lampions, des récits de voyage, le soir à la veillée, des rêves d’amour sous les ciels bleus d’été, des livres d’histoires : c’est, au propre comme au figuré, une image d’Epinal.
Pourtant, avec le temps, quelque chose a changé dans la fantasmagorie arthurienne. Quelque chose a glissé. Ou plutôt, quelque chose est resté dans la glissade. Le toboggan du temps qu’on n’a pas vu passer. Quelque chose est resté qui sonne plus dur et plus grave. Visages d’enfant sans bouche. Fendus par le milieu. Peau blafarde. Leurs cheveux fins et secs comme des herbes mortes. Spectateurs muets, ils regardent fixement. Quoi donc ? Le vide qui les attend ? L’enfance qu’ils n’ont pas eue ? Au centre, les volutes – jaillies de quel feu ? – de longs corps noirs, serpentesques, coups de pinceaux larges et plats, éclats de bleu, qui montent au ciel et partout, devant, derrière, comme pour un banquet, ces bouilles farcesques, difformes, siamois jouant aux dés, homme-oiseau-plume, crocodile à roulettes, homme-pot de chambre, bustes-escargots. Nous sommes dans l’arrière-cour d’un cabaret. Entre chien et loup. Ivresse. C’est la fin de la nuit. Les sons étouffés d’une fête. Un certain ralenti. On sourit, peut-être, on essaie. On prend la pose devant le peintre. On grimace. Les yeux sont vitreux. Il manque des bouches et il manque des bras. A cette sirène, par exemple. A ces anges aux ailes brisées. A ce petit homme-tronc galopant sur un cadavre. Une jeune fille. Morte ou peut-être seulement endormie, mais si elle dort encore c’est presque pire.
Cette angoisse sourde. Cette femme nue, une main sur son pubis. Le gras du pastel qui fait le teint cireux. Les yeux caves et les cernes par-dessous. Cette fatigue, partout. Les dents écartées émergeant des mâchoires. Les fronts bosselés. Les ivresses, les impudeurs. Les nuques cassées. Les centaures dont les têtes bourgeonnent comme des cancers. Les corps qui tombent à la renverse. Les oiseaux, exsangues, leurs ailes qui pendent. Leurs airs de filles trop fardées, bleues de froid sous la neige, tirant sur des vers si longs qu’on dirait des tripes. Ce ne sont pas des déguisements. Ce ne sont pas des scènes. Ce sont des vies dans leurs prisons. Des formes mutilées, usées, à bout, visitées par le rêve.
Clair Arthur aurait pu éluder le réel. Il aurait pu marcher les yeux rivés sur ses mondes intérieurs, dans la douce lueur des veilleuses. Il aurait pu détourner son regard pour épargner le nôtre. Il le porte au contraire sur l’époque, le monde comme il va, en ouvrant sur eux la porte aux monstres du cauchemar. Chaque fois un peu plus grand. Et tout se rejoint en surface. Et les couleurs sont vives. Et la lumière, souvent, est crue. Tant mieux. Si l’on ne se sent pas bien, il faut prendre à Rognet un peu de sa tristesse, et garder le rêve enfoui quelque part : « Je ne sais rien / Je ne sais pas quel / Equilibre rendrait / Le ciel à la terre »
Une nouvelle expo de Clair Arthur. Une errance, pas une visite. Sentiment singulier : cet homme-là n’a pas encore tout dit. Une certaine euphorie. Une envie brusque d’embarquer. Au-dessus, tout autour, les papiers, pleins, volent, légers. Sous le haut toit de tuiles, le navire enfle sa voile. La filature doucement s’ébranle et quitte la rive. Je connais ce petit vent, sec et froid. Il cingle. Mais il file droit.
Dernier jour de l’exposition "Errances" de Clair Arthur, ancienne usine de filature des Fils de Victor Perrin, à Uxegney
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