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Union des Ecrivains Vosgiens
28 mars 2021

PIERRE PELOT : hommage à Bertrand Tavernier

Sur Face Book

POING A LA LIGNE
SERIE NOIRE
Monsieur Bertrand Tavernier s’en est allé. Réalisateur comme il ne s’en fait plus. Amoureux amateur de romans noirs, noirs et de toutes couleurs, de westerns, j’aimais cet homme, je l’aime toujours, de son vivant et du mien il nous était arrivé d’échanger des paroles. Il nous racontait des histoires en images, toutes sortes d’histoires, il ne croyait pas lui non plus aux genres, une histoire ça n’a pas de genre, pourvu qu’elle soit bonne. Evidemment on se souvient du Juge et l’Assassin, à coups de quoi on lui rendra hommage à la télévision qui sait si bien rendre hommage aux gens, leur mort venue, et si mal de leur vivant – à moins que l’hommage au trépassé soit une façon de le garder vivant, comme s’il en avait besoin. Outre Le Juge et l’Assassin, il y en a bien d’autres, tous du même bonheur de faire et d’offrir. Comme « La Mort en Direct », « Coup de Torchon », entre tous, qui nous fait plonger direct dans le noir de la vie. On est heureux de vivre. Le bonheur, donc, est le noir de la vie.
Adaptation magistrale, intelligente, jouissive, du roman de Jim Thompson : 1275 Âmes, paru en son temps « Chez » Gallimard, dans la Série Noire.
La Série Noire n’est pas une collection. C’est une édition. La Série Noire, édition, édite des romans noirs, de la littérature noire – ce qui est un pléonasme : la littérature est par essence noire, comme la vie l’est. Ceux qui vous diront le contraire sont de grands handicapés qui ne veulent surtout pas voir leur propre couleur noire, leur nuance personnelle, à la Soulages ( peintre de la vie en noir ), par peur de ne savoir lui échapper. La littérature qui ne se veut pas noire, et fait tout pour ne pas l’être, se joue alors sur la gamme de tous les gnangnans, toutes les échappatoires, ou même quand elle utilise les armes du noir, sans y croire, juste pour « faire noir », cela donne des fadasseries ternies qui ne tiennent le choc qu’à peine deux secondes, le temps d’un hoquet. ( Et l’injustice de la vie veut que ce soit en général un succès.) Par exemple entre des millions, pour caricaturer, ce Petit Prince, chef d’œuvre d’un facteur Cheval qui aurait pondu cette construction laborieuse d’allumettes en la maçonnant au miel rance. J’ai dit « par exemple », j’ai dit « caricature ».
Regardez les auteurs, les écrivains de passage dans les couloirs et les dédales menant au devant de la scène de la Série Noire. Regardez le catalogue.
Ça commence rude : Peter Cheyney, Raymond Chandler, Horace Mac Coy, James Adley Chase… Oh bien sûr : des auteurs de polars, comme on dit, comme on dit dans l’auto-proclamée Belle Littérature pince cul en pleine lumière, comme pour s’en écarter, du Noir, s’en protéger. S’en distinguer. Ne mélangeons pas vos serviettes avec nos talents, amigos.
Il se peut que ces auteurs de polars soient des écrivains qui pratiquent la littérature et vous parlent d’histoires et de personnages qui ne sont peut-être pas d’emblée à mettre entre toutes les mains. « Les malheurs de Sophie » non plus. A la Recherche du Temps Perdu non plus. Faulkner admirait Proust et il avait bien raison. Les romans de Faulkner, écrits comme Faulkner écrivait, sont de magnifiques romans noirs. Quoi de plus noir dans l’âme que « Le bruit et la Fureur », que « Sanctuaire » ? Après que ces roman furent écrits, de ce côté-ci de l’océan, des faiseurs de tiroirs sont venus sur la place des marchands installer leur étal et planter sur leur marchandises des étiquettes qui disaient : « Polar », « Roman Noir », « Thriller ». »Etc. » Les garder nus et flamboyants dans le flot eut été sans doute plus difficile à vendre.
Publiés dans la Série Noire : Cormac Mac Carthy. Méridien de Sang. Un géant. Un roman qui se pourrait étiqueté « western » comme vous n’en avez jamais lu, si vous vous nourrissez ordinairement de Musso, Nothomb et je ne sais quel consort. L’obscurité du Dehors, Sutree, La Trilogie des Confins… Cormac McCarthy est un grand écrivain, un écrivain important et unique, c’est à dire qui écrit comme lui seul et capable de le faire. Il est représentatif de ce que tout écrivain doit être : unique. ( évidemment tous le sont, mais certains plus que tous ceux qui prétendent l’être comme tant d’autres… )
Et James Sallis. Les écrivains sont des raconteurs d’histoires. Ils se distinguent par le choix des histoires qu’ils choisissent de raconter, et la façon dont ils les racontent. C’est très simple. Avec des mots qui sont les leurs, une manière qui n’appartient qu’à eux, en personne. Parfois, le choix de ces personnages-prétexte à la narration passe par un flic, un policier, un fouineur, pourquoi ? Parce que ce genre de témoin est probablement plus facilement en contact avec les histoires et leurs acteurs, leurs pourvoyeurs. On dit alors « polar » et dans l’esprit de bien des « consommateurs » cela descend de fait au rayon genre, voire sous-genre. James Sallis est poète, traducteur ( de Raymond Queneau notamment ), essayiste, novelliste. Ici encore sa manière d’être les histoires qu’il raconte n’appartient qu’à lui seul. L’œil du criquet, ( en exergue : « Alors, j’ai senti en moi la révolte désespérée des choses qui ne voulaient pas mourir, la soif des mousses, l’angoisse dans les yeux du criquet »… ) Bois mort, La mort aura tes yeux… Et du côté de chez nous ? Dans la Série Noire sont passés un certain J.P. Manchette, un certain Embareck, un certain Daniel Pennac — qui sautera par la suite dans la blanche en recherche sans doute d’une respectabilité de lectorat qu’il pensait y trouver — pour ne citer qu’eux. ( Et c’est bien peu.)
Cette sous-littérature que les tenants de l’autre, la Haute, la Vraie, regardent en se pinçant le nez, d’abord pour s’en tenir à l’abri juchés sur leur perchoir préfabriqué, n’en est pas moins que la véritable, dans sa couleur, sur sa peau, celle qu’écartent les Renommées, les Légions d’Honneur de l’Elite, les Palmes et les Mérites et les distinctions made in académiques.
Le noir lui va si bien, de ses lettres imprimées sur papier blanc.
Pour qu’elle soit reconnue sans devoir montrer ses papiers à chaque coin de rue, qu’elle échappe une bonne foi au délit de sale gueule, de quel déguisement du dimanche faudrait-il qu’elle s'accoutre ?
Pour que la Série Noire dévale les rivages de la nuit, tranquille, majestueuse, dans son silence hurlé.
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87Odile Kennel, Bernard Visse et 85 autres personnes
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