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Union des Ecrivains Vosgiens
25 avril 2020

ODILE KENNEL : Releveur d'empreintes...et A Minuit !

Odile Kennel

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Releveur d’empreintes, tel était son métier. (une profession disparue, tout comme celle d’archiviste des vivants et des morts, des sèchefleurs, des cartographieurs de génomes divers obsolètes ou des collecteurs documentaires matériels/immatériels) Sur la croûte saline, il devait pratiquement poser sa joue contre le sol pour distinguer, grâce à des reliefs infimes, les éventuelles traces de passage. Les cristaux blancs étincelaient et finissaient par l’aveugler, bien avant la fin de la journée.

Ce matin-là, il crut distinguer deux marques à sa droite, une à sa gauche, totalement différente, alors il ôta son gant, passa sa main nue, déjà brûlée par le sel, pour sentir les creux et les bosses de manière plus précise. Ici un homme de petite taille qui avançait à pas minuscules, chaussé de souliers aux semelles entièrement lisses, était récemment passé. Bizarrement accompagné par ce qui semblait être un grizzli qui arpentait le salin à reculons. Les empreintes – celles de l’enfant et celles du plantigrade – bien que se déplaçant sur des lignes parallèles, auraient dû logiquement se rapprocher, se rejoindre, se croiser, et s’éloigner les unes des autres, mais il n’en était rien : ils cheminaient ensemble, côte à côte, l’ursidé d’Est en Ouest, le gamin d’Ouest en Est. On eût dit même qu’ils se touchaient, que la main du bipède était enfouie dans la fourrure de l’animal.

Le releveur d’empreintes se rappela soudain Krimlou, son ours clonal en peluche rouge, son seul ami durant les journées interminables qu’il passait seul dans l’immense ranch de ses parents. Ils avaient grandi ensemble. Où pouvait-il bien être, à présent ? Sans doute quelque part dans la propriété familiale en ruine, toutes vitres brisées, entre plafonds et planchers crevés, literie moisie, placards béants, lustres effondrés sur des tapis poussiéreux, envahis de mousses et d’herbes folles.


Odile Kennel

À minuit, il est, il sera – paraît-il – permis de :

— jouer les masques de la mort rouge

— sortir les cadavres des placards

— balancer le temps au caniveau

— mordre les panneaux de signalisation à pleines dents

— se tatouer l’heure présente sur la peau du visage

— danser subrepticement au milieu des places et des fontaines

— suivre à pas glissés les ombres bleues que les gyrophares scarifient

— remercier l’allumeur de réverbères publics

— rêver son chemin

— cheminer ses rêves

— surgir des égouts avec les rats

 

 

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