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Union des Ecrivains Vosgiens
18 avril 2020

ODILE KENNEL : " Par la déchirure du ciel bleu comme l'éternité "....

Nous suivons pièce par pièce les éléments quotidiens de ce roman qu'Odile Kennel entreprend depuis le debut du confinement, avant de rassembler pour nous le puzzle final de sa création , forte d'imaginaire, bruissante d'étrange ...

 

Odile Kennel

Vendredi 17 

Dans cette cour enclavée, se dressent toutes sortes de tuyauteries, de tubulures, de durites, de siphons, de cheminées métalliques, de colonnes peintes en bleu et orange, surmontées, coiffées de soupapes ça et là, qui laissent sporadiquement fuser des jets de vapeur grise. Certaines sont reliées par des conduites horizontales de diamètre réduit, d’autres se courbent pour s’emmancher dans des soufflets plissés. Des boîtiers de contrôle – ce qui y ressemble, en tout cas – sont plaqués au hasard à hauteur du premier tiers de certains gros tuyaux. Les cylindres les plus larges sont percés de hublots rivetés disposés au hasard. Il me semble y voir des silhouettes qui s’y meuvent mollement. Elles me font penser aux pieuvres languides qui se mouraient dans les geôles aquatiques de Mazargon IV. Quand je réussis à zoomer suffisamment avec mon scrutagrandisseur capricieux, je m’aperçois qu’il n’en est rien : pas de tentacule ni de bras. Pas même de ces algues filamenteuses qui prospèrent et colonisent les eaux stagnantes un peu partout.
Les roues dentées d’un engrenage tout proche avancent brusquement d’un cran, tandis qu’un sifflet ulule à l’opposé de l’endroit où je me trouve. Cadrans, manomètres, volants, poignées et interrupteurs sont hors d’atteinte ; je n’oserais pas y toucher, de toute manière. Quelques échelles métalliques jaunes s’accrochent à un niveau, leurs montants se recourbant pour rejoindre un gros collecteur deux ou trois étages plus haut. Qu’est-ce que cette machinerie ? Un alambic complexe, une distillerie géante ? Ou, plus simplement, une chaudière, une centrale énergétique, un moteur ?

 

Samedi 18

Le village est si pimpant que le Récoleur s’étonne de n’y croiser personne… Par la déchirure du ciel bleu comme l’éternité, il peut apercevoir l’implacable vide intersidéral. Ici, rien ne bouge jamais, il s’en convainc peu à peu. Du reste, il ne peut apercevoir le moindre véhicule, qu’il soit collectif ou individuel, autobus ou bicyclette. Pas âme qui vive, pas un passant, pas même une ombre furtive rasant les murs dans les ruelles et les places. Pas un frémissement derrière les rideaux tirés. Pas un pissenlit. Quelle tristesse dans ces façades multicolores, ces toitures de tuiles vernissées ! Les morceaux de la voûte céleste, tombés sur la vaste place circulaire, changent sans cesse de couleur, s’irisent, se nacrent, s’illuminent vivement, parfois. Ce sont les seuls objets – sinon vivants –, du moins qui évoluent au long de la journée. Très proches, et cependant hors d’atteinte, ces éclats de verre fascinent ; il lui est tout aussi impossible d’en détacher le regard que de franchir la lice qui cercle l’agora, jadis bruissant de conversations, de promeneurs de chiens, de jeux d’enfants, de marchandes des quatre saisons qui faisaient l’article. Les arbres qui l’ombrageaient, les bancs publics ? En admettant qu’il reste quelqu’un pour s’en souvenir, ils ont disparu bien avant que le dôme protecteur soit crevé, avant son installation, voire avant qu’on envisage sa création, il en a la certitude absolue il ne sait dire pourquoi. Sans conviction, pour ne rien laisser au hasard, le Récoleur décide de pousser la porte de la maison la plus proche, afin de l’explorer de la cave au grenier.

 

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