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Union des Ecrivains Vosgiens
13 mai 2021

ANKA KRIZMANIC

La pyramide de patates
Ma grande mère était une paysanne pauvre, et donc par définition, elle ne pouvait pas être autre chose que bio; sa nécessité vitale procédait de ça ! Elle ne connaissait pas ce mot. Il n’existait pas dans sa vie, mais tout dans son ADN social était bio. Voici pourquoi et comment.
Fermière, paysanne, veuve précoce, chef de famille, elle a tout assumé pour nourrir sa tribu. C’était dans mon « vieux pays », et je me souviens. Voici donc la bonne mère qui dès la mi-septembre «ensillone» ses patates qui sont récoltées, triées, protégées, le tout «sous sa surveillance. Il s’agissait de garder les pommes de terre saines et sauves tout l’hiver. La manœuvre, excusez du peu, se veut ancestrale, scientifique et architecturale. Un jour, c’est la construction des « bunkers» derrière la grange, sur un mini près vert dédié à ça .-trapovi- comme elle disait ; car les maisons basses et pauvres n’avaient pas de cave, ni même de fondations. Attention ! Les travaux vont commencer dans cet ordre et pas autrement : Mamie Anka, en marchant en rond, faisait des cercles d’un gros mètre de diamètre, qu’elle tapissait aussitôt abondamment de paille. Puis elle prenait son temps pour construire sur les ronds de paille des super connes avec des patates, lesquels elle recouvrait de nouveau soigneusement par la paille. Ensuite c’est la bêche et le tour de main qui faisait «la pyramide » Comment ? En prenant d’un geste sur et réfléchi, une pelletée découpée dans la terre herbeuse, qu’elle déposait tout autour du conne en paille, de sorte que les herbes vertes devenaient une pelisse de fourrure verte extérieure, et le reste de la terre sur la pelle se mêlait à la paille et faisait une seconde barrière au froid. Et ainsi de suite, jusqu’à la pointe, qu’elle terminait par des bâtons de noisetiers, pour empêcher des nuisibles. Il manquait de terre tout autour ? Fort bien, ça fait une tranchée de drainage, et on la comblerait avec des pieds de maïs, avant les gelées. Au bout de deux ou trois jours, voilà que quatre ou cinq pyramides sont là, alignées derrière la grange. Et c’est ainsi que l’automne va arriver …Certaines pyramides seront ouvertes lors des redoux, dès que les sacs restés sous la grange seront consommés, car il faut se nourrir. Les jours des ouvertures était une vraie énigme : seront-t-elles bien conservées, pas trop germées ? Mais le miracle se reproduisait presque comme prévu. Les deux derniers bunkers restaient intacts jusqu’au début avril. C’était les plants de prochaines semailles.
C’était notre vie. Bio, de chez bio ; en cette année 1955 j’avais presque 8 ans, et je me souviens encore de l’odeur fétide des quelques patates » perdues »
Texte Anka, Atelier Jardins, 16 Juin 2018

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