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Union des Ecrivains Vosgiens
2 mai 2021

Lire «La Supplication» de Svetlana Alexievitch

 

Lire «La Supplication» de Svetlana Alexievitch

Message de la Terre-Mère aux Sélénites radioactifs

 

Ce VENDREDI 7 MAI ET MERCREDI 12 MAI sur RGM  , à 21 h Vivre et Créer à la Montagne Magazine culturel,

A écouter sur :

107 mz,   dans la zone d'écoute de Remiremont

- Ou par radioline sur internet Radio Gué Mozot RGM

 -en pod cast sur la page Face Book de Radio Gué Mozot Vivre et Créer à la montagne Archive

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Un grand coup de chapeau et mille mercis à Yumi Célia, André Larivière, Bruno Boussagol, les maîtres d’œuvre d’une aventure exceptionnelle avec la lecture, les 25 et 26 avril dernier, du prologue de « La supplication » de Stevlana Alexievitch. Stevlana Alexievitch, c’est l’écrivaine journaliste russe, puis biélorusse, exilée en Allemagne, prix Nobel de Littérature en 2015, qui s’est  ponctuellement défaite de ses droits d’autrice en cette commémoration des 35 ans de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. Comme en 13 pays dans le monde et pour ainsi dire en temps réel -la France, La Suisse et la Belgique regroupant la majorité des lectrices - cette lecture a irradié les Sélénites du 26 avril 2021. 

 

Notre duo improvisé avec Amélie Armao prenait son vol. C’était dur… pendant un temps c’est comme si je tenais le texte à distance, tellement il est puissant, ce texte… et puis il m’a happé.

 

La complicité avec la jeune femme de théâtre avait été immédiate : l’idée lui a plu sans aucune hésitation. Bingo : « oui, on y va ! Non, je ne connais pas. Je ne demande pas mieux que découvrir. Temps mieux si c’est difficile !» : sa réaction m’a enchanté, parce-que c’est ça que je recherche : l’envie de faire avec le cœur, l’énergie créative, le partage, la réponse qui vient des tripes… et c’est au « concert non déclaré » d’HK à Épinal, saoulées de vouloir danser encore, que l’idée de la lecture de La Supplication s’est concrétisée avec la mirecurtienne Hélène Schneider, 76 ans - bon anniversaire Hélène !- toujours en manif et dingue de musique : oui, elle était plus que partante pour nous accompagner au violoncelle !

 

Je n’ai aucune expérience de théâtre, seulement un stage fortuit avec des élèves du mime Marceau qui date d’une trentaine d’années … Et puis la vie, parfois comme un sacré théâtre! Nous avons lu et relu le prologue chacune de notre côté, mais sans répétition. Pourquoi ? Pour des raisons d’organisation, et aussi parce qu’une synergie entre nous s’est joué d’emblée. J’avais demandé à Amélie de piloter ce beau projet. Au lieu de m’attribuer des passages de lecture, elle a proposé tout autre chose : une lecture avec des échos, à certains endroits, comme on le sentirait, en se distribuant le texte à l’instinct. Surtout ne pas s’interrompre si on se trompe. Faire confiance au texte. Hélène avait lu et annoté le prologue : elle apporterait des touches musicales, des frottements de cordes, tirées ou poussées, en touches très légères sous forme de bruitage, laissant de longues plages de silence pour faire sonner nos voix parfois conjointes ou dissonantes, glissant par endroit une phrase musicale en résonance avec le texte…   Elle clôturerait le récit à la viole de gambe, plus exactement au dessus de viole avec "Lachrimae Antiquae" de John Dowland (compositeur du 16 ème siècle -et oui on en apprend aux Sélénites, et surtout moi !) et enfin au violoncelle avec Cant dell Ocells (le chant des oiseaux), un chant traditionnel catalan arrangé pour le violoncelle par Pablo Casals.

 

Le contexte, maintenant. Le salon des Sélénites démarre à 21 heures. Inutile de vous parler du couvre-feu, du périmètre de sécurité et du confinement, sauf pour dire que les deux artistes ont bravé les interdits et risqué une prune de 130 euros, refusant de massacrer la lecture en passant par un jeu virtuel ! La joie d’être ensemble a soudé ce moment grave, un peu hors du temps. On était forcément impressionnées par ce qu’on avait lu, ce dont nous étions désormais responsables, dépositaires, et qu’il nous fallait transmettre. Pour ma part en tout cas le trac était au rendez-vous. Nous sommes dans un village perdu de la plaine des Vosges, dans mon salon, que je transforme à chaque pleine lune en Sélénites : c’est le salon des Arts et des Lettres chez la Cunégonde de Jeûnecourt-sur-Fumier ! Par la force des choses, c’est sur un serveur social, la plate-forme discord, que notre public s’est installé. La prise de son pour la retransmission radiophonique, c’est mon fils Youva, élève architecte du numérique qui, en plus d’offrir en certains moments propices ses compositions personnelles au didgeridoo, s’est chargé de la régie.

 

Sept femmes au bosquet de la Fraternité, à côté du bassin de la Paix

 

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 Voir lien

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La super-lune qui monte vers son apogée irradie en plein la soirée. De nouveaux sélénites sont entrés, le poète James Denis de Charleville- Mézières, le plasticien Sébastien Montag... Quelques habitués du salon sont arrivés avec leurs poèmes radioactifs, lunaires ou mortellement amoureux. Le dramaturge Vincent Decombis, fervent défenseur de l’art modeste, portant haut les couleurs du théâtre amateur, est là pour en témoigner : sept femmes dans les Hautes-Vosges au Bosquet de la Fraternité à Saulxures-sur-Moselotte, avaient lu la veille le prologue de « la Supplication », et parmi elles, Raïssa, dont le mari est décédé à Tchernobyl après l’accident. Il y a dans le public des citoyens antinucléaires convaincus, comme Pierre Fetet. Ce passionné d’histoire ancienne présente un dossier technique sur le nucléaire d’une dizaine de pages, pour introduire « Fukushima :chronique d’un accident sans fin ». La BD de Roger Vidal à l’illustration et Bertrand Galic à l’écriture, est sortie début mars dix ans après l’accident nucléaire au Japon, aux éditions Glénat. Son blog très renseigné, qu’il a crée dans la foulée du drame avec toute l’énergie de la colère, est devenu une référence en la matière… Jean-Luc Tonnerieux, et à ses côtés Marie-Michèle Salomon qui faisaitpartie d’un chœur de trois lectrices le jour-même, sont également Sélénites parmi les Sélénites. Ce « dinosaure du militantisme » dans les Vosges vient donc d’organiserau nom de l’association « Vosges Alternative au Nucléaire » deux lectures sur la Place des Vosges à Épinal et dans une librairie (le Quai des Mots). L’an dernier dans la Préfecture des Vosges il organisait le premier jeûne militant antinucléaire du Grand Est. Et en 2016 toujours avec le VAN il invitait la compagnie Brut de Béton, fondée par le metteur en scène Bruno Boussagol. Le texte nu, dépouillé de tout apparat, la comédienne Nathalie Vannereau, toute en sobriété, interprétait avec maestria le prologue de « La Supplication ». J’ai pris une grande claque ce jour-là.

 

Pour en revenir à notre public sélénite nimbé de la lune rose… la présence de l’écrivain et grand reporter Claude Vautrin - son titre de messager octroyé par le peuple Mapuche du Chili, sa quête du lien que les hommes entretiennent avec la Nature, et puis son tout dernier livre qui sortait le jour même : « Baltique(s) »- oui,  sa présence avait de quoi nous mettre encore plus les foies, mais c’est tout l’inverse qui s’est produit, avec son attention perçant l’écran pixelisé comme une vibration magnétique énergisante… et plus tard on saisira dans la deuxième partie des Sélénites, son professionnalisme pour tirer Cunégonde et son salon, haut vers la Lune...

 

Voilà je vous raconte tout, sauf la lecture, son contenu… pour paraphraser Stevlana Alexievitch « on ne peut pas raconter cela, on ne peut pas l’écrire... et c’est tellement proche, tellement aimé».

 

Nous l’avons fait, plus ou moins bien qu’importe, sans filet, en faisant fi des consignes aussi, avec des incidences de salon nous l’avons dit cet indicible, comme 250 lectrices l’ont dit presque simultanément sur la planète dans les lieux les plus improbables -sur l’idée originale de Bruno Boussagol qui était venu en parler aux Sélénites en février. En réaction à chaud, au lendemain de « cet immense partage », il me confiait : « Vous savez, il y a une vingtaine d’années, ma vie a vraiment changé avec cette première lecture. Jusqu’à aujourd’hui, nous avons un peu vécu ce que les gens vivent dans les zones contaminées. Une conscience réelle, quoique diffuse, du danger dans lequel ils vivent, et comme votre photo le montre, de la tendresse rude et joyeuse, et de la solidarité. Pour moi « le peuple de Tchernobyl » c’est aussi nous, les lectrices et les lecteurs de ce livre : comme si nous partagions un secret. »

 

Et cette conscience d’être reliés en ajoutait au flot d’émotions qui nous a tous traversé. Nous avons pleuré en creux quand ce fut terminé, et cette « performance » est gravée dans nos cœurs comme une tension vers l’impensable plaie de l’humanité. Un long silence accueillit notre lecture, un silence de plomb et de cristal, un temps de transformation intérieure peut-être, un temps de communion avec les enfants de Tchernobyl.

 

Marie Pascale Gaudé

 

 

 

 

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